Je les attends
Tous les soirs, quand les couples sont couchés, quand les télés sont désertées, quand les lits sont emplis de bras qui se serrent, de regards et de baisers. Quand les draps sont froissés. Quand je reste seul.
Je les attends
Au bout de la cuisine qui reste allumée, sentant les odeurs chaudes de plats cuisinés, l'aigreur de vaisselle pas faite. Le gras qui me colle à la peau toute la journée. Sous la lumière froide du néon qui tisse un rai blanchatre vers le canapé ou je me trouve. Face à la télé, a coté du téléphone qui ne sonne jamais. Je sais qu'elles vont apparaître.
Je sais qu’elles ne viennent que la nuit, parce qu’elles sont effarouchées par les lumières, qu’elles se cachent, qu’elles redeviennent prédatrices la nuit.
Comme moi. Quasi invisible le jour, translucide, luciole éteinte engoncée dans un costume de pluie.
Toute la journée au bureau on se croise, on se frôles, on blague, elles rient mais après elles s’en vont et moi je n’ose pas les suivre. Univers borné.
Mais la nuit
La nuit elles sont au téléphone, elles me disent des choses. Elles me signalent leur présence sur la télé avec leurs pub aguicheuses. Elles sont belles derrière la ligne, elles ont des voix qui me font vibrer. Elles sont comme je veux. Suivant mon humeur, coquines ou câlines. La nuit je leurs dit ces choses, je leurs dicte ces envies qui m'etouffent la journée. Elles me trouvent beau, viril, elles ont des voix chaudes qui ne tremblent pas.
Je les crois
C’est toujours moi qui appelle. Pas toujours au même numéro pour brouiller les pistes mais je les retrouve toujours
Des fois je rêve qu’elles viennent, qu’elles restent. Mais sur un coup de fil, c’est sur, c’est pas possible. Et puis demain elles doivent se lever tôt comme moi pour retourner au boulot. On se retrouvera sans se parler, mais je sais qui elles sont. Au secrétariat, au standard, même ma chef de service , je suis sur qu'elle attend la nuit pour que je l'appelle.
Je sais ce que vous pensez. Que je suis fou, que je suis juste un malade de plus abonné à des numéros surtaxés pour pouvoir mieux se branler.
Ne me jugez pas. vous ne savez pas ce que c'est que de se raccrocher à un coup de téléphone. Vous, vous vivez quand moi je souffre.