Conte de l'égoïsme ordinaire

Publié le par Serval

19 heures, Montparnasse…Il est là, je le vois a quelques mètres de moi. Recroquevillé dans une anfractuosité entre le cinéma et le restau, éclairé par le néon bleu d’un coté et la lumière tamisée qui suinte entre les lamelles du store de l’autre, une vieille couverture sur lui. Voyageur immobile au milieu de la foule qui passe. Des passants qui se pressent, le froid aidant, de commencer au mieux cette soirée de début de week-end et dont le seul regard consiste à anticiper le mouvement a faire pour le contourner, ne pas accrocher ce pied qui dépasse sur le trottoir.

Il est là, face à moi, ou plutôt face contre terre, allongé sur cette grille d’aération du métro ou se brassent les effluves de chaleur souterraine avec l’air vif. Il est presque 23 heures place de l’Opéra, et un halo grisâtre le nimbe. Je serre un peu plus fort la main dans la mienne, mon amie me regarde, des constellations dans ses pupilles. La soirée a été très gaie. On a un peu ri à cette vision de Paris transformé en camp de vacances. 200 tentes près du canal St Martin. Finalement ils ont bon gout tous ces gens au prix du m2 dans le quartier. Quelque peu rassuré, je jette un dernier regard à cette ombre avant de monter dans ma voiture. Comment a t’il fait pour me retrouver ?

Après une dernière virée, j’ai récupéré le périph en dessous de la porte Maillot. Je vais prendre le souterrain pour sortir de Paris et rentrer dans les Hauts de Seine en passant sous le Palais des Congrès. Ca bouchonne toujours, quelle que soit l’heure. 1h33 au tableau de bord et je le vois. Assis à l’entrée du souterrain, la main tendue et toujours la même couverture. Comment est-il arrivé là ? Là, dans le ronflement des moteurs amplifié par la caisse de résonance de béton, dans la fumée des pots d’échappement, dans la poussière qui lui fait un masque. Parfois quelques piécettes provenant d’un automobiliste qui n’hésite pas à ralentir encore le trafic et qui entrouvre sa glace, tombent au creux de sa main. Je me dégage prudemment pour ne pas rayer ma carrosserie.

D’un éclat rouge de la diode de mon émetteur la lourde grille pivote silencieusement sur ses gonds. Je m’engage doucement dans le parking pour ne pas réveiller mes voisins. Plus tard chez moi, je regarde par la fenêtre en direction de la capitale. Mon whiskey à la main je repense à lui. Pourquoi m’a t’il suivi ? Je n’ai rien fait…Je n'ai jamais rien fait. Je souris en pensant à ce RIEN quand un doute fait vaciller mon esprit. Et s’ils étaient plusieurs ?


Et si moi, au contraire j’étais tout seul ? Coincé dans mon égoïsme, mes certitudes et mon RIEN
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S
on réprime leur présence pour se voiler la face et ne pas s'attaquer aux problèmes...cachez ce SDF que je ne saurait voir.
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B
Je regrette que nos décideurs se manifestent au souvenir de ceux qui sont plongés dans l'exclusion la plus aboutie et la plus terrible qu'engendre notre société par des dispositions réprimant, bien plus que leur comportement, leur présence  (dont le caractère délictueux n'est pas défini) dans des lieux jugés sensibles par les maires. <br /> La légalisation des arrêtés anti-mendicité rejette les mendiants hors des centres-villes, vers les périphéries, sans améliorer en rien leur situation. Le premier fut pris... à Montpellier. Frêche, déja. Comme quoi, le monde est petit, non ?<br /> Je regrette aussi qu'on ne s'attaque qu'à la délinquance d'en bas. Par contre, personne, ou pas grand monde, pour lutter contre la délinquance financière et le blanchiment d'argent sale...
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B
clap clap clap clap
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G
Un joili conte en plein dans l'actualité, même pour un écureuil. Bonne continuation.
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